Flexisécurité, novlangue et aveu de faiblesse

 In Actus

Au delà de l’exceptionnelle mobilisation qu’elle aura déclenché, le projet de loi sur la réforme du code du travail dit « El Khomri » aura mis en évidence les tristes tentatives de contre-communication d’un gouvernement aux abois. Petite rétrospective des grosses ficelles.

Crédits Photo - FigaroVox

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Quand on se souvient de l’hystérie collective déclenchée par la soi-disant réforme de la langue française – qui, en enterrant l’accent circonflexe, nous amenaient selon certains vers la mise à mort de la langue de molière – on peut légitimement s’étonner de ne voir aucun intellectuel du dimanche s’insurger contre le terme de « flexisécurité » par exemple. Flexisécurité, c’est ce néologisme rigolo qui est utilisé par les communicants du gouvernement depuis quelques semaines pour caractériser leur projet de loi: un subtil mélange de flexibilité (pour les entreprises et les employeurs) et de sécurité (pour les salariés.). En inventant un mot de cinq syllabes, les spin doctors ont réussi le tour de force de mettre fin à ce dilemme ancestral entre liberté et sécurité. Ces deux mots, encore vus comme totalement antinomiques par beaucoup de monde, sont donc transformés en un seul : « flexisécurité », ou comment lier entre eux deux concepts qui s’opposent. Pas mal, non ?

On est à la limite toujours dans l’ordre du classique pour ce qui est d’une communication gouvernementale, même si c’est intéressant de voir que l’on communique désormais de la même manière sur une réforme du code du travail que sur un état d’urgence. D’un coté, on essaye de faire croire aux citoyens que leur liberté passe par plus de sécurité (comprenez plus de flicage), de l’autre on essaye de faire croire à ces mêmes citoyens qu’on pourra sauvegarder leur sécurité au travail tout en donnant plus de liberté aux employeurs (comprenez, en fliquant moins les employeurs). On pourrait débattre ailleurs de la qualité de cette loi El Khomri, mais sur ce rapport liberté/sécurité, le bilan de l’état d’urgence donne déjà une petite idée de ce qui peut nous attendre quand on essaye de mélanger les deux concepts.

 

« Vous n’avez pas compris. »

 

Autre méthode classique, qui a néanmoins probablement perdu de son efficacité, le coup de la « pédagogie. ». L’idée est simple, si vous n’êtes pas d’accord avec nous, c’est tout simplement que vous n’avez pas compris ce que l’on vous proposait ! Vous vous souvenez probablement de l’usage intensif de cette technique utilisée par le gouvernement Chirac à l’occasion du référendum sur la constitution européenne. A l’époque on le répétait à l’envie : si les français ne veulent pas de cette constitution, c’est qu’ils ne l’avaient pas comprise ! D’ailleurs les français ne l’avaient tellement pas comprise qu’on se garda bien de prendre leur avis en considération au final.

A cette époque, en plus de la mise à mort du concept du référendum, on pensait que l’idée de la « pédagogie » allait aussi être remisée au placard pour toujours tant elle avait montré son inefficacité. Que nenni, face à la grogne des syndicats et des étudiants, le cabinet de Myriam El Khomri, visiblement chapeauté par Manuel Valls, remet ça. Les jeunes ont peur pour leur avenir ? Mais c’est « absurde » ! On va donc prendre le temps (15 jours) pour reformuler les choses, et surtout éclaircir les idées des jeunes sur ce projet de loi a propos duquel des idées fausses circuleraient. Le gouvernement ne fera pas les choses à moitié, en envoyant carrément un mail à tout les signataires de la pétition sous la forme d’un vraix/faux bien binaire. Comme on le disait plus haut, technique plus très efficace, puisque la pétition a dépassé la barre du million de signatures depuis (même s’il semble facile d’y signer dix fois d’affilée sans alerter personne).

 

« La guerre c’est la paix. »

 

On serait franchement tenté d’y aller avec les gros sabots en dénonçant une propagande dictatoriale du futur s’il ne s’agissait pas d’incroyables aveux d’impuissance, d’autant que cette manipulation des mots et des concepts se retrouve dans la presse. Notamment, certes, à cause des communiqués de presse officiels repris par les journalistes, mais pas que. Certains zélés poussent l’affaire plus loin, et d’autres, paresseux, reprennent. Ainsi, on entend désormais de manière régulière et sans que personne ne réagisse, que ce mouvement de gauche anti-libéral qui crie plus fort de jour en jour, serait dût à un « surmoi marxiste ». Bref, à une sorte de maladie psychiatrique se manifestant chez un sujet plus ou moins irrationnel et sévèrement atteint. Personne n’accuse pourtant Pierre Gattaz d’agir avec un surmoi Smithien, à croire que la maladie ne se trouverait que dans un camp, et tant qu’à faire, celui des opposants.

Cerise sur le gâteau, on aura vu Eric Le Boucher, journaliste à l’Opinion, nous expliquer que c’est « la vieille jeunesse » qui manifeste contre la Loi El Khomri, au prétexte que cette mobilisation ressemble à s’y méprendre à celle contre le CPE en 2010 que les jeunes n’avaient pas compris non plus. Bref, si les jeunes ne sont pas contents, c’est apparemment parce que les jeunes pensent comme… des vieux cons. C’est donc ça, la « modernité » : ceux qui sont avec moi sont modernes, les autres sont archaïques, même s’ils sont jeunes !

Allez, encore un petit effort, et on sera plus très loin du fameux « La Guerre c’est la paix » de George Orwell, à ceci prêt que dans le roman dystopique la quasi totalité de la population y croit encore.

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