De l’Ukraine à la Lorraine : l’exil d’une étudiante

 In Actus, Politique et Société

RÉCIT. En 2022, elle avait 27 ans et elle travaillait à Kiev. Aujourd’hui, Sofia** est étudiante à l’Université de Lorraine, après avoir été forcée de fuir l’Ukraine suite à l’offensive lancée par l’armée russe en février 2022.

Assises au milieu de la cafétéria, Sofia commence à me raconter son histoire. Si aujourd’hui elle est étudiante en philosophie à la faculté de lettres et sciences humaines de Nancy, en février 2022, elle avait 27 ans et elle habitait à Kiev. Elle travaillait dans le service rédaction et à l’organisation des expositions de la fondation de commémoration de l’Holocauste de la capitale. Elle a pu travailler « avec Marina Abramovic », artiste serbe : elle l’évoque avec des étoiles dans les yeux. En complément, elle faisait aussi de la post production vidéo. 

Crédit : P. Vannarath

L’épopée : de l’Ukraine à la Lorraine

Son récit commence là : le 24 février 2022. C’est le jour des premières offensives russes lancées en Ukraine. Les civils sont rapidement rapatriés dans les zones plus à l’ouest du pays. Sofia raconte qu’elle part alors de Kiev vers l’ouest, elle y reste environ une semaine. Tout est pris en charge par son travail, le trajet et l’hôtel. 

Parce que c’est une femme, elle a le droit d’être évacuée tandis que les hommes sont appelés au front. Avec sa fille et sa grand-mère, elles partent en Pologne. Mais sa mère, elle, est convaincue qu’elle peut encore rester, même un peu. Elle décide de ne pas partir de Kiev. « J’achetais tous les jours des billets pour elle ». C’est finalement lorsque Sofia appelle un de ses amis, qui est soldat, en lui demandant de passer chercher sa mère et l’amener à la gare que celle-ci se laisse faire. 

En Pologne, « c’était le chaos ». L’épopée se trace entre la Pologne et les Vosges, où elles comptent retrouver de la famille qui y habite. En le racontant, Sofia dessine de ses doigts son voyage sur la table de la cafétéria. Trains puis bus. À chaque étape sont mises en place des zones d’attentes pour les Ukrainiens, encadrées par des bénévoles. Elle raconte qu’elle est presque embarrassée par toute cette attention autour d’elles. Elles ne réalisent pas ce qu’elles sont en train de vivre : « c’était trop de chaleur, trop d’attention ». Mais c’est plus calme, à l’écart du flou oppressant des gares remplies de passages. 

À Bruxelles, elle sourit quand elle repense à elle, sa fille, sa grand-mère et sa mère qui débarquent dans la petite colocation de son cousin. Le temps d’une douche et d’un repas et elles repartent, vers la Lorraine. 

Arrivées en France : et après ?

Ça y est ! Elles arrivent dans un petit village des Vosges où elles y passent quelques mois. Elles vivent chez une partie de leur famille. Sofia a « environ le niveau A1 en français » parce qu’elle apprenait la langue pour le plaisir quand elle était en Ukraine. Elle prend donc des cours particuliers, intensifs. « J’ai essayé de penser à déménager dans une plus grande ville » où elle pourrait trouver du travail ou reprendre ses études. C’est comme ça alors qu’elle fait ses premiers pas dans Nancy, en tant que bénévole au Nancy Jazz Kraft. Le festival se finit et Sofia n’a pas d’appartement, pas d’argent, pas de compte bancaire.

La première étape alors, c’est de changer tout ça. Pour ce qui est du titre de séjour, sa famille peut user de la ‘’Protection temporaire’’ : ce dispositif, mis en place par la Commission Européenne, vise les réfugiés fuyant la guerre en Ukraine. Et pour le reste, il faut faire et remplir des papiers, ouvrir un compte bancaire… « Sur la documentation, c’est difficile mais pas impossible ». 

Sofia est mise en lien avec un collectif d’entraide de femmes ukrainiennes : elle accède à une aide sur un site de location d’appartements. Elle travaille encore en distanciel en post-production, « mais le salaire était bon en Ukraine mais faible en France ». Elle trouve une chambre dans une colocation et un job en restauration. Elle y reste 1 an, pendant que sa mère, sa grand-mère et sa fille sont dans une petite ville des Vosges dans un logement social. 

Les premiers mois sont difficiles, elle raconte la différence des codes sociaux et des codes culturels. « Vous êtes plutôt chaleureux en France » sourit-elle, en racontant son étonnement face aux sourires d’inconnu.e.s dans la rue.  

Et maintenant ?

L’idée de reprendre des études revient. Elle aimerait bien continuer sa formation en philosophie. Alors elle se rend devant le Campus Lettres et Sciences Humaines de Nancy plusieurs fois pendant quelques jours, essayant de canaliser l’appréhension d’une discussion avec l’administration : « j’avais peur de parler français ! ». Mais finalement elle s’en sort bien, elle réussit à s’inscrire dans un master en philosophie.

Là encore, les codes de l’université sont différents. En France, il y a beaucoup d’écrits, la parole est surtout donnée aux professeurs, alors qu’en Ukraine « en cours, il y a surtout des débats et des échanges ». « C’était dur au début ». Elle prend appui sur les livres et les manuels des bibliographies de ses cours : l’enjeu, c’est surtout « d’apprendre la mélodie de la langue ».

À aujourd’hui, sa fille a 8 ans et elle va à l’école dans les Vosges. « Elle parle mieux français que moi ! ». D’ailleurs elle comprend tout, même lorsque Sofia essaye de la préserver des horreurs, sa fille en fait des cauchemars. Elles inventent toutes les deux des mots de passe et des codes secrets, remparts contre la réalité pour préserver le jeu et la légèreté de l’enfance. « Pourquoi on ne vit pas ensemble ? » demande sa fille. « Pour l’instant c’est trop compliqué. ». 

À la question, « et ensuite, tu penses faire quoi ? », Sofia répond, le regard troublé : « Je ne sais pas. C’est compliqué. Kiev me manque beaucoup, mais beaucoup de choses ont changé. » Comme elle, beaucoup sont partis et « l’économie est mauvaise, la vie est quand même plus difficile ». Il faudrait déjà que la guerre s’arrête pour pouvoir songer à y retourner. Et puis elle n’est pas toute seule, il faut réfléchir pour sa fille de 8 ans, sa mère et sa grand-mère. C’est difficile, souvent. Elle conclue, quand même, avec un sourire : « Avec le temps, ça ira ».  

** Pseudonyme, témoignage anonyme.

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