Affaire Médine: décryptage d’une polémique.

 In Culture

Commençons par le commencement. Comme chaque polémique qui naît au 21ème siècle, tout part d’un tweet.

En l’occurrence ici Damien Rieu qui se définit lui-même comme « activiste engagé, membre de Fdesouche », inutile d’épiloguer sur son CV pour comprendre quels sont ses orientations politiques. Il est suivi par plus de 34 000 personnes sur le réseau social de l’oiseau bleu. Le 9 juin cet activiste des temps modernes poste sur son Twitter ceci :

Sur la première photo on aperçoit une photo de Médine faisant la promo de son premier album « Jihad, le plus grand combat est contre soi-même » sorti en 2005. L’autre photo annonce les concerts de Médine au Bataclan en Octobre.

Pour ceux qui ne connaissent pas Médine, une légère présentation s’impose. Né en 1983, ce franco-algérien a grandi au Havre, ville à laquelle il fait souvent référence et qu’il soutient beaucoup. Il se lance dans le rap dans le début des années 2000 durant la période où le rap perd son effet de mode et commence à porter une mauvaise image. On le retrouve principalement seul mais fait également parti du groupe havrais « La Boussole » avec lequel il fondera le label indépendant « Din Records ». Pour comprendre qui est Médine il suffit d’écouter ses albums et ses textes, très nombreux car aujourd’hui il cumule 16 projets et donc plus d’une centaine de musiques. Médine se caractérise et doit son succès grâce à ses « story-tellings », il fut un des premiers à exceller dans l’exercice de rapper des histoires et évoquer des situations réelles en musique. Aidé par sa voix rauque, des musicalités ardues correspondant aux tranchants de ses textes, Médine est le représentant de ce que l’on pourrait appeler le rap brut.

Le problème lorsqu’on écrit des paroles aussi provocantes ce sont les interprétations et les hors-contextes qui les accompagnent. Le rappeur a déjà connu une polémique, qui ressort aujourd’hui, à propos du texte «Don’t Laïk» où il accable sans retenues les laïques et remet en cause la laïcité de la France, la religion ce sujet tabou. L’interprétation faite de ce texte ne fut pas la réflexion sur la laïcité mais celle de la propagande islamiste car quelques jours plus tard se commet le drame de Charlie Hebdo. Tout est question de contexte. Parler de religion dans une période où l’extrémisme d’une d’elle est à l’origine de la mort de milliers de personnes c’est un peu donner la corde pour se faire lyncher sur la place publique.

Pourquoi tout ce bruit ?

Ainsi nous arrivons à la polémique de ces derniers jours. La polémique précédente et le titre de son premier album crée l’indignation chez les politiques LREM, LR, FN et toutes les autres se trouvant à droite. Chacun va donc de son tweet sur le hashtag #PasDeMédineAuBataclan pour dénoncer l’atrocité qu’est de programmé cet homme dans cette salle maintenant chargée d’un très lourd passé. Que ce soit Marine Le Pen, Gilbert Collard ou Nicolas Dupont-Aignan tous se sentent offusqués, blessés et évoquent l’atrocité faites aux victimes de l’attentat. Ce qu’ils reprochent concrètement à Médine est d’avoir dans sa discographie un album titré d’un mot faisant référence à l’apologie terroriste, auteur de l’attentat de la salle où il est programmé : le Bataclan.

Sauf que tout est question de contexte. Selon Universalis « Le mot arabe « jihād » indique « un effort tendu vers un but déterminé » » et au fur et à mesure des années il fut traduit à tort en « guerre sainte ». Ainsi, lorsqu’en 2005 Médine sort son album « Jihad, le plus grand combat est contre soi-même » la signification est celle d’une introspection et d’un combat acharné contre notre pire ennemi, nous même. Ce concept n’est pas nouveau, c’est Hobbes qui le définit en philosophie (Homo himini lupus : l’homme est un loup pour l’homme »).

Arriva ensuite ce que l’on sait tous, la création d’organisation terroriste suite à une extrémisation de l’interprétation des écrits saints islamique, plus vulgairement Daesh et ensuite l’Etat islamique. Ainsi cette interprétation totalement corrompue et remplie de haine par ces gens voulant répandre la terreur a fini par diaboliser certains mots arabes, et notamment « Jihad » qu’ils utilisent pour enrôler dans leur armée et symboliser leurs valeurs. Historiquement on situe la création de Daesh en fin d’année 2006, bien après la sortie d’un certain album. Tout est question de contexte.

Seul petit problème ce sont les arguments avancés par les « anti-Médine ». Tout d’abord chaque tweet est orné d’une photo vieille de plus de 10 ans pour la promo de son album montrant Médine portant une fausse épée symbolisant le J du mot interdit. Le visuel choquant de cette image suffit à certains pour condamner l’artiste. D’autres creusent leurs accusations et ressortent en boucle toujours la seule et unique phrase, présente dans le texte de « Don’t Laïk » : « crucifions les laïcards comme à Golgotha » Phrase choc. Et enfin le dernier argument employé est le respect des victimes et que donc programmé cet homme est un affront et une insulte face aux victimes et survivants de ce terrible attentat du Bataclan.

Le retour de flammes

L’argument le plus fondé et plus en même de solliciter l’attention de tous les français est celui du respect des victimes. Utiliser cette tragédie et invoquant les sentiments de toutes personnes ayant ressenti de la tristesse un soir de novembre permet d’insuffler le sentiment d’offuscation. Les seules personnes qui ont la plus grande légitimité dans ce débat sont donc survivant de ce terrible attentat. Qu’en pensent-ils ?

L’association Life For Paris représentant 700 victimes du Bataclan déclare sur Twitter que « la salle a également été victime des attentats […] et qu’elle reste libre de sa programmation » l’association « est et restera apolitique et ne laissera personne instrumentaliser la mémoire des victimes des attentats à des fins politiciennes, comme c’est le cas dans cette affaire » Des survivants se sont également exprimés individuellement, notamment Emmanuel Domenach qui a interpellé Laurent Wauquiez, lui aussi positionné dans l’affaire, en lui demandant « Et vous qui vous servez de l’attentat du 13 novembre à des fins politiques ça se situe à quel niveau sur l’échelle du déshonneur ? » pour répondre au « déshonneur pour la France » qu’exprime le président LR. Le rescapé s’est confié aux Inrocks et déplore une récupération politique et déclare « une hypocrisie pure de la part des politiques qui les ignorent 364 jours par an » et qui les considèrent uniquement pour créer des polémiques et faire parler d’eux. Ces victimes se retrouvent alors dans une situation compliquée, agacée de la récupération politique elles se voient associés aux défenseurs de Médine et se retrouvent harcelés sur les réseaux sociaux. Une victime a dû protéger son compte après avoir reçu un message « dommage que t’es pas crevé ». Ces gens qui ont comme seule volonté d’arrêter d’être brandit comme argument politique se retrouvent embarqués dans une polémique qui les dépassent.

Et dans tout ça que dit l’artiste ? Médine ne s’est aujourd’hui exprimé qu’une fois à propos de ses 2 concerts au Bataclan en Octobre prochain. Sur Twitter, bien évidemment, c’est le lieu de la bataille :

De nombreuses personnes ont manifestés leurs soutiens à Médine comme le rappeur Sofiane ou le vidéaste John Rachid.

Le perpétuel combat du rap: la désinformation

Cette polémique montre ici un problème récurrent à propos du rap. Le sujet est ici très sérieux et polémique car il touche un sujet tabou, qu’est la religion, et une plaie de l’histoire de France qui aura du mal à se refermer, que sont les attentats du 13 novembre, mais elle a de nombreux points communs avec toutes les autres polémiques qui concernaient des rappeurs. Cette affaire est basée sur de la désinformation et de l’interprétation biaisée. Lorsque de grands journaux cite le nom de l’album en ne citant que « Jihad, le plus grands des combats » ou qu’ils ne résument l’artiste qu’à ses origines et la seule et unique polémique qu’il a suscité quelques années plus tôt sans évoquer le reste de sa carrière et de ses textes à des gens qui, dans la majeure partie, ne le connaissent pas, c’est dresser un portrait biaisé et orienté. Lorsque des politiciens et autres personnes influentes dans notre pays aujourd’hui citent des phrases et des mots en les accolant à un contexte différent de celui de leurs significations ce n’est rien d’autre que de la manipulation. Lorsqu’on se met à parler au nom des autres et invoquer une tragédie ou des personnes ont perdus la vie au nom du respect et de l’honneur sans prendre peine de consulter ces personnes à qui on impose un débat qui les dépassent ce n’est pas de la liberté et du respect.

Beaucoup trop souvent on sort des textes et des mots de leur contextes pour accabler des artistes, mais lorsqu’on parle de musique il ne faut ni écouter les reportages ni les accusateurs mais il faut écouter les chansons, il ne faut pas lire les articles comme celui-ci mais aller lire les textes.

A aucun moment quelqu’un n’a invoqué la chanson hommage que Médine à faites pour le Bataclan, à aucun moment quelqu’un n’a invoqué la chanson hommage sur le médecin qui « réparait » les femmes des excisions forcées en Afrique, à aucun moment quelqu’un n’a évoqué la dure chanson qu’il a écrite à propos des bombardements à Gaza, à aucun moment quelqu’un n’a évoqué le soutien de Médine et d’autres artistes au projet culturel du Grand Paris auquel il a consacré une chanson.

Chaque chanson est question de contexte.

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