« La fille de Brest » : le combat d’une lanceuse d’alerte

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« La fille de Brest », le film qui revient sur le scandale du médiator, sort le 23 novembre prochain. Radio Campus Lorraine a pu assister à l’avant première.

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« La Fille de Brest » d’Emmanuelle Bercot, au cinéma le 30 novembre

Pour commencer un petit jeu : un médicament a continué à être commercialisé une dizaine d’années après la reconnaissance de sa dangerosité. Vrai ou faux ? Aussi scandaleux que cela puisse paraître, c’est vrai.

Ce médicament, c’est le Médiator. Commercialisé pendant pratiquement 30 ans de 1976 à 2009 par les laboratoires Servier avec à sa tête Jacques Servier, il était prescrit aux personnes diabétiques comme coupe-faim dont la molécule principale a été reconnue officiellement nuisible à la santé en 1995. Malgré tout, le Médiator continuait à être commercialisé en France alors que les pays voisins comme la Suisse ou l’Italie l’interdisaient petit à petit. Une inertie institutionnelle généralisée malgré le nombre de décès qui ne cessait d’augmenter.

Heureusement en Février 2007, Irène Frachon, une pneumologue bretonne, avertit l’agence nationale des produits pharmaceutiques des conséquences désastreuses du médicament sur ses patient.e.s. À partir de là, la machine est lancée : le scandale va éclater plusieurs mois après.

Le combat de cette résistante interprétée par Sidse Babett Knudsen (Borgen) face à l’aveuglement des médecins et des autorités de santé fait l’objet du dernier film d’Emmanuelle Bercot (La Tête Haute) intitulé « La Fille de Brest » dans les salles le 23 Novembre. Et vous savez quoi ? Box-o-film a pu se rendre à la conférence de presse précédant l’avant-première.

Le film nous présente Irène Frachon, rôle porté de manière spectaculaire par l’actrice principale, s’indignant de l’état pulmonaire de ces patient.e.s, résistant aux médecins généralistes qui prescrivaient encore à ses malades le Médiator malgré ses contre-indications, tenait tête à ses collègues de recherche… et après plusieurs tentatives, la lanceuse d’alerte, secondée par un des médecins du CHU de Brest interprété par Benoît Magimel (La Tête Haute), commence à voir quelques oreilles attentives se tendre. Ce n’était que le début d’une longue affaire qui ne connaît toujours pas de fin.

Et ce combat, la caméra lui est fidèle. Tout défile devant nos yeux ébahis de spectatrices et spectateurs : la colère, face à la santé détériorée de ses patient.e.s, le doute, face aux oppositions, la peur, le tournis, face au silence assourdissant des autorités étatiques, l’épuisement, à force de travailler jusqu’au bout de la nuit… On attend ce moment où les autorités reprendront l’affaire, on attend la reconnaissance officielle de sa dangerosité et surtout, on attend le soulagement d’Irène. Et cette attente représentée dans le film est, en plus d’être une histoire vraie, mise en scène selon un rythme particulier qu’Emmanuelle Bercot nous a expliqué.

Ne vous attendez pas non plus à un thriller à l’américaine (il vaut mieux vous prévenir)!

La réalisatrice a ensuite expliqué la part de fiction et de réalité dans le film. Puisqu’il s’agit d’une histoire vraie, est-ce vraiment objectivement ce qui s’est passé ou y a-t-il une part de fiction dans le film ?

Effectivement, merci pour le mari de redonner grâce aux personnages réels. Ça aurait peut-être pu créer un petit conflit familial.

Enfin, concernant les victimes :

Cette victime qui incarne à l’écran toutes les autres est inspirée d’une des patientes symboliques du combat de la pneumologue durant toutes ces années. Au-delà de cette anecdote, la représentation indirecte de toutes les victimes par un seul personnage permet aux spectateurs et spectatrices de se concentrer sur la galère d’une seule patiente, galère que l’on peut facilement imaginer identique pour toutes les autres victimes et qui suscite une compassion universelle.

Aujourd’hui, l’affaire est toujours entre les mains de la justice aussi bien pénale (pour le jugement des collègues de Jacques Servier qui lui est décédé) que civile (concernant l’indemnisation des victimes) et administrative (pour déterminer la part de responsabilité de l’Etat). La bonne nouvelle, puisqu’il en faut toujours une, est que le médicament ne fait plus de nouvelles victimes puisqu’il a été retiré de la vente le 30 Novembre 2009. Mais il est assez inquiétant de constater que ce déni aussi bien étatique que médical permet à un film de sortir avant le jugement pénal qui ne cesse d’être repoussé grâce en partie aux combines procédurales de la part du laboratoire.

En attendant, la grande majorité des victimes n’est toujours pas indemnisée. Comme si le préjudice physique ne suffisait pas et telle une double peine, elles doivent se heurter à des refus de reconnaissance de la dégradation de leur état de santé. Il s’agit donc d’un film à propos d’une affaire dont les braises sont encore rougissantes, où la colère et la douleur ne sont pas apaisées, ce qui le rend d’autant plus intéressant et nécessaire.

Que vous soyez étudiant.e en médecine ou non, allez voir ce portrait cinématographique haletant d’une véritable héroïne du XXIe siècle qui a sauvé des vies et qui se surpasse pour que justice soit rendue aux victimes, celles pour qui il est déjà trop tard et celles pour qui la santé peut être sauvée, avec cette idée générale durant tout le film que les personnes qui ne veulent pas le pouvoir sont celles qui peuvent faire les plus grandes choses.

Joséphine Pasieczny

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