Killed By Death

 In Actus

Une page d’histoire, une de plus, se tourne en cette fin 2015, emportée par un « cancer fulgurant ».

Lemmy à Glastonbury en 2015 - Blabbermouth.net

Lemmy à Glastonbury en 2015 – Blabbermouth.net

Elle n’est pas encore tout à fait finie, mais on peut d’ores et déjà l’annoncer : 2015 aura été une année de merde. Une année de merde entre autres pour le rock et la culture alternative ou contestataire et tout ce qu’elle portait de germes d’expression, de liberté et de rébellion.

Aujourd’hui, vous avez été sûrement surpris d’entendre sur les radios un morceau un peu plus gras au niveau de la teneur en décibels que les produits fadasses qu’on vous y fait avaler d’habitude. Ainsi, entre la dernière ponte d’Adèle et un vieux Florent Pagny, un bon gros brûlot plein de fureur et de passion a soudain pris votre sono en otage pour lui souffler dans les bronches. La raison est simple, Lemmy est mort. Et Lemmy a le pouvoir de vous pourrir vos habitudes sonores bien rangées, vivant ou pas.

Si vous ne savez pas qui était Lemmy, c’est que vous faites partie prenante de ce qui déconne dans ce monde cruel où même Star Wars n’est plus source de surprise. Mais comme il n’est jamais trop tard pour l’absolution, récapitulons quand même un peu. Baby Boomer d’origine écossaise, Lemmy est né, tout comme un certain Jésus, un 24 décembre en 1945. Comme tout les nouveaux nés, Lemmy quitta le ventre de sa mère en hurlant, à la différence prêt que lui ne s’arrêta qu’à sa mort. Alors que se fermait le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’Humanité, Lemmy, par ailleurs futur amateur d’uniformes de guerre et de chars d’assaut, comptait bien déclarer la guerre au conservatisme culturel qui régnait à l’époque dans son pays.

Un CV comme le sien nourrirait les rêves de street credibility de tout petit rockeur en herbe. Après avoir vu l’un des tout premiers concerts des Beatles dans un boui boui mal famé de Londres, Lemmy tourne dans toute l’Angleterre avec les Rockings Vicars avant de rejoindre Hawkwind. Un groupe hautement instable qui électrisera les foules avec un psychédélisme débridé et épique lors de concert où les spectateurs sont littéralement pris en otage dans des salles où les portes sont fermées à clés (On s’occupait peu de la sécurité des ERP à l’époque, on pouvait faire du rock’n’roll.). L’aventure se terminera rapidement pour Lemmy, les membres n’étant pas tous sur la même longueur d’onde (comprendre qu’ils ne tournaient pas tous à la même drogue…).

Il joue également les roadies dans la troupe de Jimi Hendrix où il passe plus de temps à jouer sur la guitare de Jim qu’à pousser du fly case. Il en profite également pour « élargir un peu sa perception des choses », (enfin c’est comme ça qu’on qualifiait le fait de tester de nouvelles drogues à cette époque). Vous avez Jimi Hendrix sur votre CV, vous ? Non. Mais Lemmy ne s’arrête pas là, lui, et part fonder son propre groupe en 1975 alors que la musique de Black Sabbath n’est toujours pas qualifiée de Heavy Metal. Leur premier album sera décrit par la critique, à l’époque plus branchée Pink Floyd que Ramones, comme une horrible bouillie sonore couverte par un chanteur affreux. Il n’en fallait pas plus pour lancer la carrière de Motörhead.

Une carrière qui durera donc 40 ans et qui révolutionnera le rock, ramenant un peu (beaucoup) de spontanéité et de danger dans un genre qui tendait à s’embourgeoiser, qui pulvérisera des records de vitesse et de décibels, préfigurant ainsi le thrash et décrochant le titre de seul groupe de Heavy respecté par les punks qui avaient pourtant du clivage à revendre.

Cela faisait quelques années qu’on voyait le parrain vaciller, s’essouffler, ralentir. En même temps Lemmy n’était pas connu pour être ami avec modération, cette personne avec qui on nous demande désormais de boire. Et encore, s’il n’y avait eu que l’alcool… Lemmy abusait de tout : le son, l’alcool, la drogue, les femmes. Malgré tout il n’incitait personne à suivre son chemin, conscient que la plupart des gens succomberaient de son style de vie au bout de quelques semaines. Pour le prouver à son fils – enfin, celui qu’il a reconnu (d’ailleurs si vous ne connaissez pas votre père, les probabilités démontrent qu’il peut s’agir de Lemmy.) – il lui expliquait « Ne prends jamais d’héroïne, mon fils… Prends du speed, c’est bien mieux ! ».

Loin de moi l’idée de légitimer la drogue (ça, tu le fais très bien tout seul), mais cette citation démontre bien à quel point Lemmy était l’un des derniers représentants d’une époque où liberté n’était pas suivie d’un « mais », où la culture n’était pas encore totalement sous l’emprise de l’actionnariat et d’un fascisme mou, d’une époque où on avait la classe en sortant du rang, et non pas l’inverse, d’une époque pas forcément plus facile que la nôtre mais où des gens comme Lemmy avaient le courage de péter les plombs en se contrefoutant des conséquences en terme de relations publiques. Un mec comme Lemmy, tu l’aimais ou tu le haïssait, mais quoi qu’il en soit lui il n’en avait rien à branler de ce que tu pouvais en penser. Même lorsqu’un journaliste (enfin… c’est juste Philippe Manœuvre) venait s’intéresser à lui, il ne pouvait pas s’empêcher de saboter l’opération .

Des types comme ça, il n’en reste plus beaucoup, et cette année ils sont morts les uns derrière les autres, trop souvent sous notre regard inquisiteur et relativiste. Lemmy était probablement l’une des dernières personnes sur terre à avoir connu un occident sans contre-culture. Maintenant qu’il est mort, on se rend compte du vide que ces héros laissent derrière eux. On se rend compte aussi du processus de normalisation et de lissage culturel qui est en cours dans notre civilisation malgré le courage et le travail de nombreux passionnés qui ne se rendront jamais, mais qui resteront désormais et à jamais dans la marge, dans ce que tout le monde considère dépassé, ringard, inutile ou ridicule.

Et pendant qu’on se demande comment reprendre le flambeau, Lemmy lui est déjà en train d’assourdir Satan avec Philty – son batteur parti en reconnaissance il y a déjà quelque mois -en beuglant « Killed By Death » : Tué par la Mort. Un titre comme ça, ça ne s’invente pas.

Rock In Peace, vieux !

Elie Jofa

Recommended Posts

Leave a Comment


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Start typing and press Enter to search